Venise (AFP) - La réalisatrice tunisienne Kawthar Ben Hania a souligné avant la projection de son film "La Voix de Hind Rajab" mercredi au Festival de Venise que le cinéma est "important pour donner une voix et un visage" aux victimes palestiniennes de Gaza. Son œuvre, en compétition pour le Lion d'or, retrace les dernières heures de la vie d'une fillette tuée dans la bande de Gaza par des soldats israéliens.

Ben Hania a déclaré lors d'une conférence de presse : "Nous voyons que les médias du monde entier présentent les morts de Gaza comme des dommages collatéraux. Je trouve cela très insultant, c'est pourquoi le cinéma, l'art et toutes les formes d'expression sont extrêmement importants pour donner une voix et un visage à ces personnes."

Le film s'appuie sur des enregistrements audio réels de l'appel entre Hind Rajab et la Croix-Rouge palestinienne avant sa mort.

La réalisatrice de "A Tale of Love and Desire", nommée aux Oscars 2024, entourée des acteurs qui ont collaboré avec elle, a ajouté : "Ce film était très important pour moi car lorsque j'ai entendu la voix de Hind Rajab pour la première fois, il y avait quelque chose de plus profond que sa voix. C'était la voix de Gaza criant à l'aide, et personne ne peut entrer."

L'actrice Saja Kilani, s'exprimant au nom des acteurs du film qui a reçu des applaudissements chaleureux rares de certains journalistes présents, a déclaré : "Faites résonner l'écho de la voix de Hind Rajab dans le monde entier."

Ce film, en lice pour le Lion d'or, renforce la dimension politique de la 82e édition du festival. L'une des manifestations les plus marquantes de cette dimension a été une manifestation à laquelle ont participé des milliers de personnes samedi, exhortant le festival à prendre position contre les actions d'Israël dans la bande de Gaza dévastée par la guerre qui a commencé après une attaque sans précédent menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.

Le directeur artistique du festival, Alberto Barbera, espérait en juillet dernier que ce film ne provoquerait pas de controverse, mais il s'attendait à ce qu'il laisse "une forte impression sur les présents".

Hind, âgée de cinq ans, a été retrouvée par sa famille dans une voiture criblée de balles 12 jours après sa mort, avec les corps de six de ses proches dans la région de Tel al-Hawa, au sud-ouest de Gaza.

Forensic Architecture a estimé que l'armée israélienne avait tiré 335 balles sur la voiture où Hind a passé des heures au téléphone, terrifiée au milieu des rafales de balles, suppliant les secouristes du Croissant-Rouge de venir la sauver, avant de mourir le 29 janvier 2024.

Kawthar Ben Hania a écrit sur son compte Instagram qu'elle avait entendu par hasard des extraits des appels de détresse lancés par la fillette Hind Rajab, et s'est empressée de contacter le Croissant-Rouge.

La réalisatrice franco-tunisienne de 48 ans a déclaré : "J'ai longuement parlé avec la mère de Hind et avec les personnes à l'autre bout du fil qui ont essayé de l'aider. J'ai écouté, pleuré, et écrit."

Le film de 90 minutes se déroule dans le centre d'appels du Croissant-Rouge, au cœur d'un dilemme entre le désir de sauver la vie de la fillette et la nécessité de respecter les protocoles d'urgence pour ne pas mettre en danger les sauveteurs.

La réalisatrice, qui aime brouiller les frontières entre réalité et fiction dans ses œuvres, utilise les enregistrements téléphoniques réels de Hind, mais s'appuie sur des scènes jouées illustrant ce qui se passait dans le centre d'appels, avec des acteurs tous palestiniens.

"La Voix de Hind Rajab" bénéficie du soutien de grandes stars telles que les acteurs Brad Pitt, Joaquin Phoenix, Rooney Mara, ainsi que des réalisateurs Alfonso Cuarón et Jonathan Glazer, dont les noms figurent parmi les producteurs exécutifs. L'équipe de presse du film a déclaré à l'AFP que ces personnalités "ont assisté au film et ont exprimé leur admiration".

Wissam Hamada, la mère de Hind Rajab, a déclaré lors d'un entretien téléphonique avec l'AFP depuis Gaza : "J'espère que la voix de Gaza sera entendue et que cette guerre destructrice s'arrêtera, et que ce film contribuera à sauver les autres enfants de Gaza."

La femme de 29 ans, qui vit avec son fils de cinq ans et dont le mari est décédé il y a un an, a ajouté : "Hind n'est qu'un cas parmi des milliers. Pourquoi le monde n'a-t-il pas bougé pour sauver les autres mères et enfants ? Pourquoi le monde n'a-t-il pas bougé pour le reste de Gaza ?!"

En réponse à une question de l'AFP, l'armée israélienne, qui n'a jamais annoncé d'enquête officielle sur cette tragédie, a déclaré que les circonstances de la mort de la fillette sont toujours "à l'étude".

Après la projection à Venise mercredi, le film sera présenté dans les festivals de Toronto, Londres, Saint-Sébastien et Busan, et commence à être considéré comme un prétendant aux Oscars.

La guerre a éclaté après une attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, faisant 1 219 morts, principalement des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des données officielles israéliennes.

Parmi les 251 personnes prises en otage et transférées à Gaza lors de l'attaque, 47 restent dans le territoire ; l'armée a déclaré que 25 d'entre elles sont décédées.

Les attaques et opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza ont fait au moins 63 633 morts, principalement des civils, selon les derniers chiffres du ministère de la Santé dirigé par le Hamas, que l'ONU considère comme fiables.