Le journaliste libanais Maher Al-Dana estime que le coût estimé pour reconstruire un réseau ferroviaire moderne ne dépasse pas six milliards de dollars, soit moins d'un dixième de ce qui a été gaspillé dans le secteur de l'électricité sans résultats notables.

Sur un quai abandonné près du port de Beyrouth se dressent les vestiges de la première gare ferroviaire du Liban, témoins d'une gloire passée commencée en 1895 par un décret ottoman du sultan Abdul Hamid II. Là où le sifflet du premier train annonçant le voyage Beyrouth-Damas retentissait autrefois, aujourd'hui règnent le silence et la rouille, tandis que les Libanais rêvent de restaurer cette artère qui reliait autrefois les rivages méditerranéens aux portes du Levant.

Chemin de fer : de la « porte de l'Est » aux ruines abandonnées

À son apogée, les lignes ferroviaires s'étendaient sur plus de 400 kilomètres : de Tripoli au nord, en passant par Jounieh et Beyrouth, jusqu'à Tyr au sud, et de la vallée de la Bekaa à l'est jusqu'à Damas. Les trains transportaient passagers et marchandises, ouvraient les portes au commerce et au tourisme, et assuraient au Liban une position de leader dans la région.

Cependant, la guerre civile déclenchée en 1975 a tout arrêté. Les infrastructures ont été détruites par les bombardements et la négligence, les gares sont devenues des ruines, et les wagons rouillés sont devenus des scènes de souvenirs. À la fin du XXe siècle, les trains ont complètement disparu, laissant le pays otage de routes congestionnées et d'une économie payant un double coût.

Crise des transports et économie en souffrance

Le chercheur de l'Institut libanais d'études de marché, Khaled Abu Shaqra, a déclaré à Euronews que les pertes directes causées par l'absence de transport public organisé, y compris les trains, varient entre 5 et 10 % du PIB annuel. Il ajoute : « Nous parlons d'un coût annuel des accidents de la route entre 1,5 et 3 milliards de dollars, en plus d'une consommation quotidienne d'environ 850 000 litres de diesel et d'essence, dont la majorité est destinée aux moyens de transport. Si nous avions un système ferroviaire moderne, ces chiffres seraient considérablement réduits, ainsi que la pollution jusqu'à 23 % », ce qui a un impact positif sur la santé publique et réduit le fardeau des maladies chroniques, y compris le cancer.

Ces chiffres reflètent non seulement une crise des transports, mais une crise structurelle affectant l'économie, la santé publique et la société dans son ensemble, car les maladies liées à la pollution deviennent un fardeau financier et sanitaire pesant sur l'État et les citoyens.

Le rêve du retour et les opportunités perdues

Sur le papier, on peut imaginer un train rapide reliant Tripoli à Beyrouth, Saïda et Tyr, et un autre traversant les montagnes jusqu'à la Bekaa et atteignant la Syrie, reconnectant les parties du pays et allégeant la pression sur les routes côtières.

Mais le rêve reste de l'encre sur le papier dans un pays rongé par les crises. Néanmoins, le journaliste libanais Maher Al-Dana estime que tout plan sérieux de reconstruction et de construction de l'État ne peut ignorer la relance du projet ferroviaire, en raison de ses effets positifs à plusieurs niveaux économiques et sociaux. Al-Dana a déclaré à Euronews que le projet pourrait atténuer la crise démographique à laquelle sont confrontés les jeunes Libanais en permettant de résider dans des zones éloignées de la capitale avec une facilité de déplacement pour travailler à Beyrouth, traitant les crises du logement et du mariage et réduisant la pression démographique dans la capitale.

Il a ajouté que les chemins de fer ouvriront des horizons économiques plus larges, en particulier avec la reconnexion du port de Beyrouth à la capitale syrienne Damas puis aux pays du Golfe, notant que la distance entre Beyrouth et Damas via la voie ferrée serait plus courte que la ligne Tartous-Damas, restaurant le rôle traditionnel du port de Beyrouth en tant que centre vital du commerce entre l'Est et l'Ouest.

Al-Dana a confirmé que les études indiquent que le coût de construction d'un réseau ferroviaire moderne ne dépasse pas 6 milliards de dollars, un montant incomparable aux milliards dépensés dans le secteur de l'électricité sans résultats tangibles.

Dans une coïncidence douloureuse, l'explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 a coïncidé avec l'anniversaire du départ du premier train en 1895 depuis la même gare.

Cette explosion a détruit ce qui restait des installations ferroviaires près du port et a approfondi les blessures économiques et sociales de la capitale. Mais elle a également ravivé les discussions sur la nécessité de projets stratégiques pour restaurer le statut et le rôle régional de Beyrouth, en particulier face à de grandes transformations régionales.

Transformations régionales

À la lumière des changements géopolitiques en Syrie et dans la région, reconnecter le Liban à la Syrie et au Golfe via un réseau ferroviaire apparaît comme une opportunité en or. La route de Beyrouth à Damas est plus courte et plus viable que tout autre port, ce qui qualifie la capitale libanaise pour devenir un centre logistique régional.

Cependant, la division politique et la corruption gaspillent tous les potentiels d'investissement.

La corruption dévore le rêve

Même en l'absence de trains, l'État nomme toujours un directeur général pour l'Office des chemins de fer et du transport commun. Cette réalité fait de toute discussion sur la relance du projet une otage d'une volonté politique qui n'est pas encore disponible, dans un système qui considère les institutions de l'État comme des « fermes privées ».

Malgré tous les obstacles, les experts en transport considèrent que l'investissement dans les chemins de fer peut être un levier essentiel pour la reprise du Liban. La position géographique stratégique et le besoin urgent de solutions de transport durables font du projet un élément clé de tout plan de relance économique.

Al-Dana a conclu son entretien avec Euronews en disant : « Le train n'est pas un rêve inaccessible. Si la volonté existe, il peut devenir en quelques années une réalité qui redonne au Liban son rôle naturel et rend aux Libanais une partie de l'espoir perdu. »

Un miroir de la réalité

Des gares abandonnées à Beyrouth, Tripoli et Saïda, aux plans bloqués et à la corruption chronique, les chemins de fer libanais restent un miroir reflétant un pays coincé entre son passé glorieux et son présent troublé.

Mais au milieu de ces décombres, l'espoir demeure qu'un jour le sifflet du train retentisse à nouveau, portant avec lui une lueur du retour du Liban sur sa voie légitime.