De nombreux pays dans le monde, en particulier dans la région arabe, se tournent vers la construction de nouvelles capitales administratives à partir de zéro, conçues pour être des centres de gouvernance et d’administration. Ces villes servent souvent d’alternatives aux capitales traditionnelles surpeuplées, confrontées à la congestion, à la pollution et à des déficits structurels d’infrastructures. Ces projets ne sont pas seulement des réalisations urbaines majeures, mais aussi des ambitions politiques et économiques, promettant développement et attraction d’investissements, tout en suscitant des débats en raison de leurs coûts énormes et de leur viabilité à long terme.

Théoriquement, l’idée des nouvelles capitales administratives est de soulager la pression sur les anciennes villes, en les transformant en centres plus spécialisés, patrimoniaux ou économiques, tandis que les institutions souveraines et administratives sont déplacées vers un environnement urbain moderne répondant aux normes de “ville intelligente”. Ce modèle est souvent présenté comme un moyen de stimuler la croissance économique par de grands projets d’infrastructure, la création d’emplois et l’attraction d’investisseurs locaux et étrangers. Cependant, ces objectifs se heurtent souvent à une réalité économique difficile, les coûts élevés pesant lourdement sur les budgets nationaux et soulevant des questions de priorités.

Dans le monde arabe, la nouvelle capitale administrative de l’Égypte est l’exemple le plus marquant récemment. Situé à environ 45 kilomètres à l’est du Caire, le projet devrait coûter environ 58 milliards de dollars, alors que le pays fait face à de graves défis économiques, de l’inflation élevée à la pénurie de devises étrangères. L’objectif principal est de réduire la pression sur Le Caire, qui compte plus de 20 millions d’habitants. Pourtant, le débat reste vif : n’aurait-il pas été préférable d’investir ces milliards dans la modernisation des infrastructures existantes et l’amélioration des services aux citoyens ?

D’autant plus que la “Société de développement urbain de la nouvelle capitale administrative” responsable du projet est détenue à 51 % par l’armée et à 49 % par le ministère du Logement, ce qui soulève des questions sur la répartition équitable des bénéfices.

Outre l’expérience égyptienne, des idées similaires ont été proposées dans certains pays arabes, bien qu’elles n’aient pas atteint le même niveau de mise en œuvre. Au Maroc, le gouvernement travaille au développement de Rabat via le programme “Rabat, ville des lumières”, visant à moderniser les infrastructures administratives et culturelles sans transfert officiel du siège de la capitale. En Jordanie, des plans pour construire une nouvelle ville administrative à l’est d’Amman ont été discutés à plusieurs reprises pour alléger la pression sur la capitale, avec des allocations pour les infrastructures, mais le projet en est encore à ses débuts et fait face à des défis de financement.

L’Égypte n’est pas seule dans cette expérience. En Amérique latine, le Brésil a déplacé sa capitale à Brasilia en 1960, cherchant à développer l’intérieur du pays et à relier les périphéries au centre. Le projet a coûté entre 1,5 et 2 milliards de dollars à l’époque, soit environ 15 à 20 milliards de dollars aujourd’hui, ce qui représentait un lourd fardeau pour l’économie brésilienne de l’époque.

En Asie, l’Indonésie construit sa nouvelle capitale Nusantara sur l’île de Bornéo avec un budget estimé à environ 30-35 milliards de dollars. L’objectif déclaré est de faire face aux défis environnementaux et démographiques de Jakarta, qui souffre d’un enfoncement progressif. Le gouvernement prévoit de financer seulement environ 20 % du projet, le reste reposant sur des investissements privés et des partenariats, ce qui pose un défi important dans un climat d’investissement volatile et avec le retrait de certains investisseurs comme SoftBank.

Le Nigeria a déplacé sa capitale de Lagos à Abuja en 1991, cherchant à construire un centre administratif plus neutre et central, loin du chaos côtier. Bien que le coût total soit difficile à déterminer précisément, il a dépassé plusieurs milliards de dollars sur des décennies, avec des investissements importants en cours, comme la construction d’un réseau de train léger coûtant environ 823 millions de dollars.

En Asie centrale, le Kazakhstan constitue un autre exemple en faisant d’Astana sa nouvelle capitale en 1997 à la place d’Almaty. Le projet a représenté un investissement massif issu des revenus pétroliers et gaziers, transformant une petite ville en une métropole moderne avec des gratte-ciel imposants et une architecture futuriste. Bien que la ville ait été connue sous le nom de Nur-Sultan entre 2019 et 2022, elle a officiellement repris son nom d’origine, Astana.

Ces exemples montrent que les nouvelles capitales administratives ont une double nature : d’une part, ce sont de grands projets nationaux pouvant transformer les infrastructures et redistribuer le développement ; d’autre part, ce sont des projets coûteux qui pèsent sur l’économie et soulèvent des questions de priorités dans des pays souvent confrontés à des défis fondamentaux en matière d’éducation, de santé et de services publics.

Malgré les grandes ambitions, les résultats restent mitigés : Brasilia n’a pas totalement résolu les disparités de développement au Brésil, Abuja nécessite encore d’énormes investissements pour atteindre son statut de capitale, tandis que l’Égypte et l’Indonésie misent sur la viabilité à long terme de leurs nouvelles capitales.

Entre ces extrêmes, la leçon demeure que les villes ne se construisent pas seulement avec du ciment et de l’acier, mais avec une gestion prudente basée sur une vision intégrée qui équilibre ambitions politiques et nécessités économiques et sociales.